lundi 15 juillet 2013

Paradoxe breton

 Paris-Quimper. Le trajet du retour à la patrie. Cinq heures le cul vissé sur un fauteuil à voir le paysage défiler. Quatre et demie si t'as de la chance. Cinq heures à t'ennuyer, entendre tes voisines de devant glousser bruyamment, lire Nietzsche, récupérer de ta nuit blanche quand t'es dans le lagen parce que t'as fait la chouille la veille. Je descends au terminus, c'est là que je suis née, que j'ai grandi, que j'ai vécu pendant dix huit ans. Personne pour venir me chercher. Mes parents sont occupés, et mes anciens potes de lycée ont sûrement mieux à faire que de fêter le retour d'une expatriée parmi d'autres. Je traîne ma valise derrière moi. Mes creepers avancent toutes seules, je crois que mes pieds se rappellent l'itinéraire à suivre. Ma tête, elle, est ailleurs. Je me mets en pilotage automatique.

Je veux prendre un bus. Je réalise une fois devant les horaires de l'arrêt qu'ici, il n'y a pas de bus le dimanche. On est en province, j'avais oublié que le dimanche, il ne se passait jamais rien. Pas même un bus. Je traîne ma valise en grommelant. Ville de nases. Ma valise pèse lourd, et Quimper est une ville vallonnée qui ressemble à un terrain de BMX pour géants. Super. Je longe la cathédrale. C'est la seule chose que je trouve chouette dans ce bled. Il doit y avoir une cérémonie quelconque ; Un petit tas de gens défilent, en costards et robes un peu chic. Un homme arborant ce petit col réservé aux prêtres reconnaissable entre mille me pointe du doigt et ricane avec deux de ses acolytes. Ben alors Ducon, t'as jamais vu une fille avec des plateformes de 9cm ? Quimper et sa petite mentalité étriquée de faux-bourgeois snobs qui se regardent le nombril en se touchant la nouille. Quimper et sa population de petites meufs et de petits mecs. Et de vieux cons(ervateurs). T'as pas ton uniforme jean-marinière-Bensimon-Longchamp ? T'es pas normale. Et pour bien te le faire comprendre, tu vas avoir droit à des regards appuyés, des index pointés dans ta direction et des ricanements. Bah ouais, c'est facile de se moquer de ce dont tu n'as pas l'habitude. Je leurs souris de toutes mes canines, droit dans les yeux. Baisse les yeux, Ducon. Être prêtre te donne le droit de rire de mes godasses ? Pas sûr que Jésus approuve. Je continue mon chemin, un sourire radieux toujours scotché à mon visage. Regarde comme j’irradie, rien à battre de tes gloussements de dindon bénit. Ma valise pèse lourd, j'ai juste envie d'être à la maison. J'accélère le pas. Je trébuche sur un pavé. Je le connais, ce pavé. J'ai toujours trébuché dessus. Réminiscence. Je me prends pour Proust l'espace d'un instant. J'aime pas Proust, j'aime pas les romans. J'aime pas ce pavé, j'aime pas cette ville ni ses habitants. Je ne les aimerai jamais tant qu'ils continueront à être aussi aliénés.

Ça doit bien faire quatre mois que je n'étais pas rentrée. J'ai le sentiment que ça fait au moins un an. Deux, même. Quimper ne m'a pas manqué, l'air marin non pollué et la gastronomie bretonne exceptés, peut-être.Et encore. Les regards moqueurs et la petite mentalité de ses habitants, beaucoup moins en revanche. Après trois quart d'heure de marche, j'arrive enfin à la maison. Je ne la reconnais plus. Je ne m'y sens plus chez moi. On l'a repeinte en blanc, comme toutes les autres. L'intérieur est vide, il y fait froid. On ne croirait pas que j'y ai passé dix-huit ans. La seule trace de ma présence c'est la GameCube branchée, les manettes posées à côté, attendant que je vienne y jouer. Pour le reste, tout est d'une tristesse abominable. Je ne suis pas ici chez moi. Je n'ai plus envie d'y être. Je n'y suis déjà plus.

A Paris je suis fière d'être bretonne. Je parle avec l'accent, j'emploie des expressions et des mots que les non-bretons ne peuvent pas comprendre, j'achète du pâté Hénaff et du beurre salé, je passe avec la même attitude intérieure devant les petites baraques à frites proposant des crêpes ailleurs qu'à Montparnasse que lorsque je passe devant une contrefaçon Louis Vuitton, je dis gast et ma doué beniget quand j'ai envie de jurer, et je fais l'apologie du kouignamann à qui veut bien l'entendre. Je me sens donc bretonne à Paris. Mais dès que je rentre à Quimper, je me sens parisienne. Je méprise les petites-gens de cette ville, la tristesse et la monotonie ambiante, le désert culturel qui y règne, la cinquantaine de magasins de prêt-à-porter dédiés à une clientèle féminine âgée de 60 à 90 ans et la laideur des nouveaux centres commerciaux qu'ils s'évertuent à ériger, comme si la ville n'en comportait pas déjà suffisamment ainsi. Quimper, ville d'art et de culture ; Mon cul ouais.
C'est un fait : je n'aime pas Quimper ni ses habitants. Je n'aime pas Paris ni ses parisiens non plus. Mais c'est moins terrible, je crois. Là-bas, les gens te regardent forcément, mais avec moins d'insistance et de mépris ; Je préfère qu'on me traite de "bombasse swag" que de "cékoicettemeufloltavu". Là-bas, quand tu t'ennuies, tu peux visiter un monument ou un musée, aller au cinéma, te balader sur les quais de Seine ou dans un jardin. Ici, quand tu t'ennuies, tu t'ennuies. Et c'est tout.
Heureusement qu'il y a l'océan et la forêt à côté, sinon c'est deux semaines d'ennui mortel qui s'annoncent.

9 commentaires:

  1. Hey ! Tu aurais du m’appeler ! J'aurais pu m'arranger pour te déposer chez toi !

    Je trouve ça assez triste ce que tu dis sur Quimper , à vrai dire ça me chagrine beaucoup. Cette ville a beau être chiante, rien ne s'y passe , les transports c'est de la merde (je met 1h pour aller à la fac en bus, sans compter les retards et les bus qui s'annulent sans raisons) , ya pas grand chose niveau culture (et jamais de films en VO )mais ça reste ma ville. J'aime le vieux centre , galérer sur les pavés , m'arrêter papoter avec les vendeurs et les grands mères dans la rue qui viennent me parler gentillement.
    En fait j'ai pas beaucoup de bons côtés à énumerer pour Quimper...Mais j'ai été dans beaucoup de villes (entre Bourges , Marseille , Aix en provence , Albi , Pelissanne...etc...) et Quimper a toujours fini par me manquer , je crois que j'aime son fond Breton.

    Bon par contre les gens sont irrécupérables (quoiqu'ils s'améliorent j'ai plus trop de regards méchants , mais j'ai de plus en plus des vieux pervers)

    J'ai beaucoup ris pour le " gast et ma doué beniget " XD

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    1. Je trouve ça triste également. J'adore la Bretagne, je me sentirai toujours bretonne, mais je ne me sens simplement plus chez moi à Quimper. La maison doit y être pour quelque chose, j'imagine.

      (Y a toujours eu du VO à Quimper, par contre ! Chapeau Rouge, Dupleix, toussa)

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    2. oui du VO pour les petits films , pas les gros films @_@

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  2. Je ressens plus ou moins cette sensation lorsque je retourne chez mes grand-parents sauf que ceux-ci habitent carrément dans une ville minuscule. Du coup dès que je me promène là-bas j'ai clairement l'impression d'être une sorte de monstre difforme au milieu d'une foule de clones terrifiés. Mais ça a un côté marrant, en fait. La plupart ne sont pas dangereux. Puis comme pour toi, il y a la nature, et heureusement...

    C'est étonnant comme un endroit peut nous manquer alors qu'une fois qu'on y est, on s'ennuie profondément. Il m'arrive de vouloir retourner chez mes grand-parents et une fois que j'y suis, j'ai envie de rentrer chez moi. Mais dernièrement vu la façon dont je me fais insulter dans ma ville je me dis que je préfère les regards ahuris de quelques dégénérés consanguins...

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    1. C'est vrai, parfois un endroit nous manque et lorsque l'on y revient on s'y ennuie. Je crois que Quimper ne m'a cependant jamais manquée. C'est sûrement un peu triste, en fait.
      Et je suis vraiment désolée pour les comportements dont tu as à souffrir dans ta ville. Ce sont eux les aliénés, ceux qui font des comparaisons idiotes et qui insultent bêtement.

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  3. How, j'ai cru que tu parlais de Saint Etienne un moment, apparemment les deux villes se ressemblent... Mais différence, le Design remplace le "ville d'art et de culture" (Si tu sais pas dans quoi te reconvertir, tape dans tes mains *clap clap*).

    Ça doit être vraiment nul de ne plus se sentir chez soi; j'ai pas envie de connaitre ça .____.

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    1. Haha, je crois que beaucoup de petites villes se ressemblent.
      En effet, ça n'est pas très agréable de ne plus se sentir chez soi, mais bon, du coup j'essaie de considérer que je suis en vacances quelque part, ce qui reste tout de même relativement triste quand on a passé un ros bout de sa vie dans ce quelque part.

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  4. Ton article m'a transporté là bas .. Je connais un mec de Quimper, il disait toujours que c'était une ville merveilleuse, mais tu la dépeint autrement, et c'est plus réaliste pour le coup..
    J'aime tellement Paris, on ressent tous un peu de tristesse quand on en revient ..

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    1. J'ai été un peu virulente dans cet article, mais c'est vrai que je serai vraiment très curieuse de savoir ce que Quimper a de merveilleux.
      J'aime Paris uniquement pour ce qu'elle possède que la Bretagne n'a pas à m'offrir, haha. Je me sens beaucoup plus proche de la nature que du gros tourbillon parisien.

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